Le chanteur de Gospel (Harry Crews – Gallimard / Folio
Policier)
« Les hommes pour qui Dieu est mort s'idolâtrent entre
eux. »
Oubliez cette couverture du poche qui
pousse à imaginer un Jour des Morts mexicain plus que la Georgie profonde des
USA. Harry Crews a vécu dans l’Amérique profonde et pauvre qui a suivi la Crise
de 29. Si vous ne savez pas où se trouve cet état, il est collé au-dessus de la
Floride et écrasé entre la Caroline du Sud et l’Alabama. Vous voyez, ça
commence à donner des couleurs à ce roman que vous n’avez pas lu.
Le livre est bien titré puisqu’on suit
le retour au pays du Chanteur de Gospel. Il n’a d’ailleurs pas d’autre nom car
c’est son identité idolâtrée par tous dans le pays. C’est l’histoire d’un jeune
homme qui se découvre une voix merveilleuse et l’utilise pour chanter des
louanges à Dieu… Et afin de s’enrichir et quitter son bled pourri de naissance.
Mais ce vernis presque propre se fissure au fur et à mesure que l’on rentre
dans le récit. On découvre ses vices, ses pulsions sexuelles malsaines, sa
méchanceté et en même temps cette douleur d’être enfermé dans son rôle de
Chanteur de Gospel qu’il s’est créé. Il est accompagné de Dydimus, un type pas
si net que ça qui croit fermement que le chemin divin doit être parcouru dans
la douleur et donne ainsi les châtiments à son protégé de chanteur. Une fois
arrivés à Enigma, l’histoire s’enfonce mollement dans une atmosphère sombre, on
s’y englue couche par couche comme si on avait posé le pied dans des sables
mouvants. C’est glauque, on croise des Freaks, des fous de dieu, des brebis
innocentes, des personnages rustiques, des très envieux, et 300 pages plus tard :
une fin radicale.
Je découvre Harry Crews grâce au
conseil d’un bon ami. C’est par son premier roman que j’ai donc débuté. Et c’est
un tour de force, une histoire risquée. En effet, ce livre est un risque, pour
l’auteur, l’éditeur initial et aussi pour le lecteur. Il ne laisse pas indemne,
il est rugueux, du cul-de-jatte à la femme vulgaire, il décrit une Amérique désœuvrée,
un pays qui n’est pas magnifié et de plus avec une très grande sincérité. L’auteur
aurait pioché dans ses souvenir d’enfance, et peut-être que c’est cela qui
donne à ce texte tant de puissance. Le phrasé est parfois compliqué par trop de
simplicité : on parle le langage du coin avec des mots haché et une
phonétique mâchouillée (au passage, bravo au traducteur pour ce rendu). Et avec
toute cette méchanceté, ce sang, ces idées reçues au fil de la lecture, on
pénètre petit à petit dans l’humanité. C’est cela la véritable magie du récit.
Harry Crews défend les freaks par une simple description d’anormalité. Il questionne
sur qui sont les véritables monstres ? Il redéfini les lignes de l’étrange,
de la peur et de la fascination des « créatures » avec ceux qui semblent l’être
et ceux qui le sont véritablement.
Un roman noir, qui transpire sous les
bras, qui vous traîne successivement sur le sable bien sec et granuleux et
après dans la fange bien gluante. Foncez le lire si vous aimez ce genre de
plume !
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